Trois consonnes et deux voyelles ; Jimmy.

Londres 1993 ;

Citation :

Maman,
Tu devrais le voir, il est si mignon. Je perçois déjà dans son sourire une pointe de malice, dans ses yeux une grande ambition et dans ses rires, une belle joie de vivre. Tamara m’aide à le nourrir, à le changer. Mon moment préféré, c’est quand je passe une soirée dans le fauteuil à bascule de papa, au coin du feu, avec mon bébé dans les bras. J’aime son sourire. N’importe qui fonderait en le voyant s’esquissait, en contemplant ses pommettes toutes rouges, ses fossettes. Je suis attachée à lui, vraiment. Est-ce normal pour une jeune mère d’aimer à ce point son fils ? Évidemment ! Mais j’ai peur pour lui. Ma situation actuelle ne me permet pas de l’élever correctement. Je vais suivre le conseil que tu m’avais donnée, peut-être que je vais le confier à Karolina. Ma sœur a réussi à sortir de cette misère, elle a une bonne situation, mariée à un fils de bonne famille. En tout cas, je ne donnerais jamais mon fils à un de ces orphelinats piteux. Je te tiens au courant, je t’aime.
Je l’ai appelé Jimmy, comme Papa.

Jimmy est né le 24 décembre 1992. Sans doute le plus beau cadeau de Noël pour la jeune femme âgée de tout juste dix-sept ans du nom de Lyra. À l’époque, elle vivait une vieille bicoque située en plein centre-ville de Londres, là où des centaines de familles pauvres londonienne s’entassaient. Jimmy était le fruit d’une seule et unique nuit entre Lyra et son ancien patron. Il avait toujours eu un œil sur elle et avait profité de la situation sociale désespérée pour la manipuler en lui promettant une augmentation si… Elle accepta, puis démissionna, et se rendit compte qu’elle était enceinte et dans une misère pas possible. Tout le monde lui tourna le dos, la vie était déjà bien difficile et peu, très peu de gens voulait se risquer à porter secours à cette pauvre fille.

Jimmy vivait seul avec sa mère mais il avait parfois la visite de la sœur de celle-ci, sa tante donc. Sa mère retrouva un emploi comme serveuse dans un bar à l’ambiance 50’s qui était construit à deux rues de la maison. Jimmy voyait très peu sa mère. Il se trouvait que la voisine, une vieille dame venue clandestinement en Angleterre, s’occupait de lui en journée, jusqu’à ce qu’il ait l’âge d’aller à l’école. Elle s’appelait Tamara et Jimmy la considéra comme sa deuxième maman. Finalement, les jours devinrent meilleurs pour la famille, mais la santé de Lyra se dégradait de jours en jours. Les médecins lui diagnostiquèrent un cancer de la peau. Ce jour-là, Jimmy avait cinq ans et rentrait pour la première fois à l’école.

Kennedy Hopkins, comme le monsieur qui s’est fait tuer, là…

─ Salut toi ! Dis, tu t’appelles comment ?

S’exclama une petite brune, tout en s’asseyant à côté de Jimmy. Celui-ci la dévisagea. Elle avait sa taille en fait. Des yeux malicieux, des petits lèvres rouges comme une cerises, un teint pâle et portait un bonnet blanc en laine sur la tête. Elle était habillé d’un manteau beige, en laine également et elle portait des bottes en caoutchouc. Elle était juste deux mois plus vieille que lui. Jimmy répondit timidement.

─ Jimmy.
─ Oh ! C’est bizarre comme nom ! Moi c’est Kennedy. Ma maman dit qu’elle m’a appelée comme ça parce que le monsieur qui s’est fait tué s’appelait comme ça.
─ Ah… J’aime pas Jimmy. Appelle-moi Joe.
─ Enchantée Joe.

Sur ce, ils se serrèrent la main comme des grandes personnes. Ce fut leur première rencontre, leurs premiers mots échangés. Directement, une vraie amitié naquit entre eux. C’était fusionnel. Très vite, partout où on croisait Jimmy, il fallait s’attendre à ce qu’il y ait Kennedy dans les parages. Partout où il y avait Kennedy, il y avait Jimmy. Ce qui les rapprochèrent davantage, c’est le fait que tous les deux grandissaient dans un milieu pauvre. Ils étaient liés comme les doigts de la main.

─ Joe ?
─ Kennedy ?
─ J’ai quelque chose à te demander.
─ Quoi ?
─ T’es mon meilleur ami…
─ Et…
─ Si je trouve pas de mari avant que j’ai dix-huit ans, tu voudras te marier avec moi ?
─ Promis.
─ Cool.

Cette promesse, ils se la firent un soir de pleine lune, en été. Ils avaient huit ans. Les années passèrent, ils n’en parlèrent plus, même si ni l’un ni l’autre ne l’oublia pas pour autant. Entre eux, ce n’était pas de l’amour. Juste une gigantesque amitié comme on n’en connait pas deux. Kennedy et Jimmy sentaient qu’ensemble, ils étaient capables de tout comme par exemple, aller sur la lune, sauter du port de Londres pour plonger dans la Tamise. Ils grandirent, ne se séparèrent jamais et, la famille Canterbury connaissant encore des difficultés financières, personnelles, il se promirent qu’ils continueraient à se serrer les coudes plus tard et travaillerait dans la même boîte, vivraient ensemble, mangerait ensemble, mourraient ensemble. Tant de promesses qui, malgré des difficultés, ils tinrent.

Le dernier jour du reste de ta vie.

Jimmy avait douze ans. Plus les jours passaient, plus la santé de Lyra s’aggravait. Joe constatait qu’elle changeait effectivement, mais pas une seule fois elle lui avait touché un mot quant à sa maladie. Comment pouvait-il savoir qu’elle pouvait mourir d’une seconde à l’autre ? Il portait toujours un regard inquiet sur sa maman, se demandait si elle allait bien. Chaque fois qu’il posa la question, elle répondit à l’affirmative, prétextant que Dieu était là pour veiller sur eux. Jimmy se contentait de cette réponse, sans chercher à en savoir plus. Le 24 décembre de cette année, ce fut un jour de neige. Jimmy descendit dans la pièce qui servait de cuisine, salon et salle à manger et vit sa mère dans le fauteuil à bascules. Dans ses mains, un livre. Cela faisait des mois qu’elle le lisait et Jimmy crut remarquer que jamais, oh non, jamais, elle n’avait tourné la page. Ce livre était toujours ouvert à la page 113. Le lisait-elle vraiment ?

Ce qui surprit encore plus Jimmy, c’est que le 24 décembre, c’était son anniversaire, mais sa mère ne le lui souhaita pas. Il peina à croire qu’elle l’ait oublié, mais il ne voulait pas non plus le lui rappeler. Peut-être qu’elle avait des choses plus importantes en tête ? Jimmy n’en savait rien. Il enfila son manteau, quitta la maison car il avait prévu avec Kennedy et quelques amis une monumentale bataille de boule de neige, suivit de la construction d’un igloo et enfin d’un goûter chez Jonah. Le soir, après avoir passé une journée tout simplement fabuleuse, il se dirigea vers sa maison et il vit, garées juste devant la baraque, deux ambulances.

─ MAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN !

S’écria le garçon. Il se mit à courir, trébucha sur le chemin et s’écorcha ainsi les genoux. Mais il reprit sa course, grimpa dans l’ambulance. Arrivé à l’hôpital, il fut transféré dans la salle d’attente la plus proche. Il attendit deux heures ; il constata que sur l’horloge placé dans la pièce, l’aiguille venait juste d’arriver sur le 8. « Bonne anniversaire Jimmy Joe Canterbury… » Murmura-t-il. Plus tard, vers vingt deux heures, un médecin arriva dans la salle d’attente et prononça le nom de Jimmy qui avait commencé à somnoler sur la banquette. Il se leva, le suivit. La mine du docteur ne présageait rien de bon. Que du mauvais.

─ Votre mère est… Décédée. Son cancer de la peau s’est propagé dans tous ses organes, son cerveau a été touchés. Elle n’a malheureusement pas pu avoir les soins adéquats, car elle n’avait pas d’assurance vie. Elle souffrait beaucoup, elle ne souffrira plus à présent. Je vais…

Le médecin ne put pas finir sa phrase. Jimmy se mit à courir, aussi rapide qu’une fusée, il quitta l’hôpital, courut dans la rue, bouscula les gens au passages. Il fallait qu’il se vide la tête. Lorsqu’il courait, il pensait à autres choses qu’à ses problèmes. Sa course déboucha au port de Londres, où il s’arrêta juste au bord de la cale. Il se mit à crier, il fallait que toute cette haine de la vie sorte. Il lança une grande pierre dans l’eau et tout ce qu’il trouva par terre. Puis, à bout de souffle, il s’écroula par terre, assis, mit sa tête entre ses genoux et sanglota. Pourquoi la vie ne lui faisait aucun cadeau ? Pourquoi ? Qu’avait-il fait ? & pourquoi Lyra ne lui avait pas parlé de ça ? Il lui en voulait à elle, à la vie, à la justice, aux médecins, à lui-même. Depuis ce jour, Jimmy n’a plus jamais fêté son anniversaire. Il n’a jamais fêté Noël non plus. Comment pouvait-il fait la fête le jour du décès de sa mère ?

Une fois de plus, Kennedy fut là pour s’occuper de Jimmy.

Une famille, puis une autre…

*NOVEMBER.

Sans sa mère, Jimmy se trouvait orphelin. Il resta quelques jours chez la vieille Tamara mais elle ne put pas le garder longtemps car elle aussi avait des problèmes de santé. Après une semaine chez la voisine, il fut envoyé dans un centre. Par chance, les visites étaient autorisées, il reçut donc souvent la visite de Kennedy. Parfois, il quittait le centre en cachette pour rejoindre sa fidèle amie. Après un mois dans l’orphelinat, il fut envoyé dans une famille de fermier en dehors de Londres. Cela l’éloigna de Kennedy, il fut triste durant cette période qui dura trois mois. Mais Jimmy n’était pas heureux avec eux. Ils avaient déjà cinq enfants et grâce à l’aide de Kennedy, les deux ado réussirent à prouver que cette famille n’était pas digne de s’occuper d’un enfant comme lui. Il retourna donc dans son centre. Il était heureux là-bas, plus qu’on ne pouvait l’imaginer. Mais une fois n’est pas coutume, un an plus tard, on l’envoya dans une famille londonienne. Par chance, ils habitèrent à quelques rues de la famille Hopkins. Jusqu’à seize ans, ils vécurent chez eux. Ils avaient de l’argent, mais cela n’intéressait pas Jimmy qui ne changeait pas ses habitudes d’enfants pauvres. À seize ans, sa vie bascula une fois de plus…

L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurais.

Des disputes éclatèrent dans le foyer d’habitude si calme de la jeune Kennedy. Sa mère découvrit que son mari était infidèle. Son quotidien était bouleversé. L’adolescente de seize ans pleura beaucoup durant cette époque. Elle eut besoin de Jimmy plus qu’à n’importe quel autre moment de sa vie. Elle passa quelques jours chez lui, en cachette évidemment. Elle pleurait, menaçait de partir. Jimmy ne savait plus quoi faire. Un soir, alors qu’ils étaient tous les deux allongé sur le toit de la maison du garçon, ils discutèrent de leur avenir :

─ Joe ? À ton avis, on sera comment… Plus tard. ─ Ensemble. C’est tout ce qui compte. ─ Je veux pas te perdre. ─ Moi non plus. ─ Tu es heureux ? ─ Non. Et toi ? ─ Partons à New York !

Le lendemain, avec les économies qu’ils faisaient depuis quelques années, il prirent un cargo qui partait direction New York. Personne n’était au courant de leur départ, ils ne laissèrent aucune adresse. Ils se doutèrent que tout le monde s’inquiéta mais peu importe, ils voulaient l’un et l’autre une nouvelle vie. Quitter la pauvreté, quitter les gens. Découvrir l’Amérique, terre d’espoir.

A New York, ils squattèrent un appartement. L’hiver, c’était rude de vivre là-dedans, mais l’été, c’était sympathique. De toute manière, ils n’y passaient jamais beaucoup de temps. Ils courraient partout, mais ils aimaient bien le fait d’avoir cet appartement comme point de chute. Personne n’était jamais venu les trouver dans ce dernier. Un jour, lors d’une promenade sur le port, Kennedy vit sur une affiche que le Dreamer, grand paquebot de croisière qui partait de New York, recherchait des gens pour travailler. Le soir même, elle montra l’affiche à Jimmy, qui esquissa un grand sourire. Il accepta évidemment car de toute manière, il en avait assez des petits boulots qu’ils accumulaient tous les deux. Dans ce paquebot, ils auraient non seulement un travail, mais un toit où vivre. Le plus important, il serait ensemble.

Sourire colgate, stass et paillettes ? Elle s’appelait Melinda.

─ M*rde, m*rde, m*rde… !

Son premier jour de boulot sur The Dreamer. Jimmy, l’homme à tout-faire, s’occupa d’une cabine en première classe. Il refaisait les draps, mais maladroitement, il renversa un vase dans lequel se trouvaient des fleurs sur le lit. On avait prévenu Jimmy qu’à la moindre faute, il serait condamné à laver la cale et le pont ! Là, c’était une faute professionnelle assez grave. Jimmy se rendit dans la salle de bain de la cabine, tira sur la serviette éponge et renversa tout ce qui se trouvait sur le lavabo au passage. Encore une néoformé bêtise. Heureusement, le propriétaire de la chambre n’était pas là. Alors que le garçon tentait d’éponger toute l’eau, la porte s’ouvrit. C’était la fin du monde pour lui, il manquait plus que ce soit le proprio. Non, c’était une jeune femme, d’environ son âge, quoiqu’un peu plus vieille.

─ Que faites-vous ?
─ Je… refais mon lit.
─ Ce n’est pas votre cabine, si ?
─ C’est la vôtre ?
─ Répondez à ma question.
─ C’est la mienne.
─ Oh, je me suis encore trompée de cabine. Je croyais que c’était la mienne… Je m’en vais.
─ Attendez, attendez. Votre cabine ? Je croyais que c’était la mienne. Je me suis trompé de porte. Désolé, j’ai sali le lit. Je vous appelle quelqu’un pour nettoyer.
─ Laissez, je vais faire. Vous vous appelez ?
─ Joe et vous ?
─ Appelez-moi… Melinda. J’espère qu’on se reverra. Dans une de ces soirées à thème notamment.
─ Salut…

Jimmy partit et referma la porte derrière lui. Cette rencontre le troubla. Cette femme était si belle. Notez qu’elle avait dit de l’appeler Melinda, mais rien ne prouvait que c’était son vrai prénom. Peut-être un pseudonyme ? Lui-aussi se faisait appeler Joe, mais c’était son deuxième prénom. À la limite, ce n’était pas si problématique. Il s’était fait passé pour un passager de première classe, en omettant les conséquences que cela pouvait avoir. Après tout, le bateau était immense, les passagers nombreuses et les chances que ces deux là se recroisent étaient minimes. Cependant, Jimmy ne pouvait pas s’enlever ce visage de la tête. Il en parla à Kennedy, lors d’une pause. Durant les pauses, les deux jeunes se retrouvaient là où l‘on rangeait les draps, couvertures... Les literies en fait.

─ Comment t’as dit qu’elle s’appelait déjà ?
─ Melinda, je crois, j’en suis pas sûr.
─ Pourquoi t’en es pas sûr ?
─ C’est elle qui me l’a dit, mais c’est pas forcément son vrai prénom.
─ Oh ! Joe est amoureux !
─ N’importe quoi, va te coucher Kennedy !

Puis Jimmy envoya un oreiller dans la figure de mademoiselle Hopkins.

Une nouvelle vie, un nouveau départ.

─ T’as bientôt dix-huit ans, fit remarquer Joe tandis qu‘il pliait une drap avec Kennedy.
─ Je sais.
─ T’as peur ?
─ Non.
─ Moi non plus.
─ Ben alors, pourquoi t’en parles ?
─ Je voulais te dire que je ferais un super mari, je ferais la bouffe, m’occuperais des enfants et te ferais l’amour tous les soirs, ma grosse baleine chérie.
─ Toute activité sexuelle sera prohibée tant qu’on sera mariés, mon cachalot d’amour.
─ Han ! Tyran !
─ Ah ! Et toi tu es mon esclave !

La promesse. Leur promesse. Allaient-ils la tenir ? Ils n’en reparlèrent pas de sitôt. Ils en ont longtemps rigolé et Kennedy était persuadée qu’elle aurait un copain bien avant que son anniversaire arrive. Mais aujourd’hui, elle n’avait encore jamais eu de copain et était encore seule.

Jimmy avait toujours sa meilleure amie. Finalement, leurs nombreux souhaits de quand ils étaient gamins se réalisèrent. Ils travaillaient ensemble, vivaient ensemble, mangeaient ensemble. Mourraient ensemble ? Il était encore un peu tôt pour le dire ! Jimmy travaillait comme homme à tout faire sur le bateau. On lui demandait de faire quelque chose, il l’exécutait. Certes, ce n’était pas le travail dont il avait toujours rêvé, mais celui-ci lui permettait de quitter ses racines, découvrir de nouvelles contrées, de nouveaux mondes. Des gens tous aussi différents les uns que les autres. Jimmy avait vraiment besoin d’oublier d’où il venait, ce qu’il avait vécu, quitter misère et pauvreté. Voilà pourquoi, il est aujourd’hui sur Le Dreamer.