Je marchais sur le ponton du bateau, j’étais dans mes pensées. À vrai dire je me demandais encore pourquoi j’avais accepté de venir. Je pensais que cela me ferait des vacances, je ne pouvais pas dire que ce n’était pas le cas. Seulement j’avais parfois tendance à m’ennuyer, peut-être un peu trop. Comme toujours j’avais un peu de mal à m’ouvrir aux autres. Enfin non, ce n’était pas cela le soucis, je n’arrivais pas à faire le premier pas. Cette attitude avait tendance à me rendre froide aux yeux des autres, alors que lorsque l’on me connaissait réellement j’étais plutôt du genre chaleureuse et… drôle ? Peut-être n’était-ce pas le mot exacte, mais je pouvais avoir de l’humour, je n’étais pas faite que de sarcasme. Je marchai sans vraiment savoir où je me dirigeai, l’esprit ailleurs et le regard posé sur la mer. Je pensais à mes études de stylisme, j’adorais créer. Ou plutôt dans mon cas dessiner, même s’il m’arrivait de toucher aux tissus aussi. Evidemment je n’avais jamais réellement créé de vêtement, j’étais encore dans mes études. Je traversai différentes pièce, allant par-ci, par-là. Bien vite je me retrouvais dans le salon. Il était assez tard, dans les 23h, mais je n’avais pas trouvé le sommeil. Morphée ne m’accueillait pas dans ses bras ce soir, j’étais exclue. Le marchand de sable ne voulait pas me déverser un peu de sa poussière magique. Le salon étai pratiquement vide, éclairé par les veilleuses pour les quelques visiteurs de nuit.
Je m’assis sur une chaise, c’était calme. Il n’y avait que quelques chuchotis à peine audible. Les dernières personnes encore présentent semblaient sur le point de s’endormir, luttant contre le sommeil pour profiter davantage de cette merveilleuse journée. C’est vrai que nous avions eu une bonne journée, très ensoleillée. Heureusement cela ne se finirait pas de si tôt. Peut-être pensaient-ils que c’était un rêve, ou alors peut-être qu’ils aimaient simplement prolonger leur journée à l’extrême. Jusqu’à ce que nous ne puissions plus ouvrir les paupières et que le sommeil nous submerge. J’avais souvent fait ce genre de pratique, lorsque je voulais me persuadé que ce qui c’était passé avait été réel. J’avais souvent cette impression de rêver éveillée. Certaines personnes entrèrent, d’autres sortirent, malgré l’heure tardive le moulin tournait encore. Je tournai ma tête, regardant les nouveaux arrivants. Mon regard se posa sur ce brun, que je tentais de cerner depuis un petit moment déjà. Il ne se laissait jamais faire, j’avais cette impression qu’il me repoussait pour ne pas que je pénètre dans son monde. D’une certaine manière je pouvais le comprendre, mais d’un autre côté j’aurais aimé qu’il s’ouvre à moi. Je n’étais pas du genre commère et habituellement j’aurais vite lâché le morceau. Pourtant il m’intriguait et je n’y parvenais pas. Il avança davantage dans le salon, je ne saurais dire s’il m’avait vu dans la faible clarté, peut-être aurait-il fait demi tour si ça avait été le cas ? Je n’aimais pas avoir cette impression que je le dérangeais, néanmoins je continuais comme si je ne pouvais m’en empêcher. Je ne saurais expliquer cela. Je me tortillai légèrement sur ma chaise, hésitante, devais-je aller le voir ? À une telle heure il devait être encore plus distant et grognon, surtout que j’avais cette tendance – du moins apparemment – à le contrarier facilement sans faire grand-chose. Dès l’instant où j’ouvrais la bouche, j’avais l’impression de l’agacer, était-ce vrai ? Peut-être qu’après tout je m’imaginais tout cela.

Il m’avait vu et même sourit. J’étais certaine que cela lui avait coûté de faire ce geste à mon égard, par simple politesse. Je ne savais même pas pourquoi il prenait la peine de faire cela, avait-il déjà été aimable avec moi ? Mon cerveau n’arrive pas à ressasser ces souvenirs là, ou peut-être sont-ils tout simplement inexistant. Cependant je ne pouvais pas l’affirmer, je ne connaissais pas assez bien Adrian pour supposer quoi que ce soit. Il ne me laissait pas entrer dans sa bulle d’acier et mes perceuses n’y faisaient rien tant qu’il ne m’acceptait pas. Je ne pouvais certes pas l’obliger, mais je voulais tellement comprendre pourquoi il se comportait comme cela. Ce soir là j’étais assez fatigué pour ne pas jouer le jeu, mais pas assez pour laisser tomber. Peut-être que sa fatigue à lui l’inciterait à me parler mais… Serait-ce profiter de lui ? De ses faiblesses ? Je n’avais pas la réponse, c’était assez délicat enfaite. Je tournai mon regard vers lui, il venait de s’assoir sur le sofa du salon. Il semblait ne pas savoir quoi faire, sortant son téléphone de sa poche et passant une main dans ses cheveux. Cela non plus je ne savais pas encore, je ne savais pas ce que pouvais signifier ces gestes anodins, je ne connaissais pas ses manies. J’avais encore du temps pour apprendre tous cela, ça ne faisait que quelques jours que nous étions sur le bateau. Il y avait une bonne ambiance, j’avais déjà fait des rencontres forts sympathiques. On s’amusait bien à bord, même si j’avais tendance à rester un peu à l’écart. J’avais du mal à aller vers les autres, sauf exceptions comme Adrian. Il avait ce côté mystérieux qui me faisait agir autrement, qui me poussait à savoir. Je n’étais pas de ces jeunes femmes à persécuter les autres d’habitude, au contraire lorsque je ne connaissais pas une personne j’avais tendance à être distante sans pour autant être froide mais c’est simplement que je n’arrive pas à faire le premier pas pour me faire des amis. Je suis de celle qui attendent et je me fiche bien de rester seule durant un temps infini, comme le dit si bien le proverbe « mieux vaut être seul que mal accompagner ». Je n’applique pas tellement cela, mais si je le devais, je m’y ferais.
Je soufflai, hésitante. Avais-je l’envie de me faire rejeter ce soir ? J’avais du mal à anticiper ses réactions, il pouvait changer assez vite. Sur ce point il me ressemblait, du moins je supposais, j’étais une fille très lunatique qui pouvais passer rapidement du rire à une colère noire. Parce que mes pensées m’envahissent et déteignent sur mon humeur, de sorte que souvent mon entourage ne comprend pas mon soudain changement d’humeur. Je me levai tout de même, me dirigeant vers le canapé avec un sourire aimable étirant mes lèvres. Ce garçon était une énigme que je me devais de résoudre. Je ne pouvais l’expliquer mais ça paraissait important pour moi, comme si je jouais à un jeu sur ma Nintendo et que j’étais à fond dessus. Je n’avais qu’une question à cela. Que ferais-je lorsque j’aurais percé le mystère ? Dans les jeux il y a toujours d’autres missions, mais nous n’étions pas dans un jeu. Je m’assis comme si de rien était, raide comme un piquet, j’attendais qu’il souffle pour me montrer une énième fois que je le faisais chier plus qu’autre chose. Seulement je ne pouvais pas abandonner ce que j’avais commencé, j’étais têtue : il fallait que je termine, que j’aille jusqu’au bout de mes idées. Je croisai mes bras sur ma poitrine, m’enfonçant un peu plus dans le sofa, cherchant par quoi commencer pour entamer une discussion. Discussion qui finirait sûrement en dispute comme bien souvent. Seulement ce soir, il ne fallait pas faire trop de bruit, la plupart des passagers dormaient.

_ Bonsoir, dis-je simplement.

Je lui souris une fois de plus, gentiment cette fois. J’attendais encore les signes du « tu m’emmerdes ». D’une certaine manière de cette façon il me rejetait aussi, parce que je n’étais rien d’autre qu’une emmerdeuse pour lui. C’est ce qu’il me faisait comprendre, ou c’est ce que j’interprétais moi de ses gestes.

_ Tu n’arrives pas dormir toi non plus ?

Je m’enfonçai un peu plus dans le canapé me détendant au fil des minutes passées. Il me salua à son tour, il ne semblait pas désagréable ce soir. J’espérais pouvoir tenir une vraie discussion, sans que cela se finisse en conflit. D’un côté je devais bien l’avouer, malgré son sale caractère je l’appréciais et je savais pas pourquoi. Peut-être parce que je savais qu’au fond il ne devait pas être ce garçon froid, distant et mauvais comme il le montrait. Il esquissa un petit sourire, à peine visible. Sourire forcé ? Je préférais ne pas savoir. Je fixai un point imaginaire face à moi, comme si j’étais plongée dans mes pensées. Ce qui n’était pas totalement faux. Cela me dérangeais pourtant, de penser à lui à ce moment là. Même c’était parce que j’étais à côté de lui, mais ce serait lui accorder une importance en plus. J’eus un petit soupir et reportais mon regard sur lui. Il fallait l’avouer, il était beau garçon. De beau cheveux brun, un visage fin et des yeux bleus qui ressortaient davantage avec la couleur de ses cheveux. « Non ! En ce moment je ne dors pas beaucoup… A ce que je vois j'suis pas le seul ! ». Un sourire franc étira mes lèvres, il avait raison.

_ Non en effet. Mais sache… que je suis une fille de la nuit.

Mon sourire franc se transforma en sourire en coin mystérieux, comme si j’avais quelque chose à cacher. Je n’avais rien à cacher en réalité.

_ Ca t’arrive souvent de faire ça ? Sortir la nuit ?

Je ne voulais pas paraître trop précipité. Je tentai d’être subtile, d’en savoir le plus possible pour lui. Pourquoi ? Aucune idée. Je tenais vraiment à ce qu’il est confiance en moi et je ne savais pas pourquoi. Je continuai de le regarder, comme si détourner mon regard était une marque de faiblesse ou signe que je n’étais pas digne de confiance, que j’étais hypocrite. J’étais loin de cela, au contraire. Je détestais ces gens faux qui vont font croire qu’on peur leur parler comme à un journal intime alors que tout ce qu’ils cherchent ce sont des potins à raconter.